Chloé Barreau
DIRECTOR / CREATIVE PRODUCER
LE JOURNAL DU DIMANCHE
CHLOÉ, FILLE
DE DÉFROQUÉ
par Adeline Fleury
Il y a plus de quarante ans, l'abbé Barreau se mariait. Aujourd'hui, sa fille Chloé témoigne sur le tabou des prêtres mariés et sur la situation des enfants cachés de l'Église. Ils seraient plus de 10.000 en France.
© Charlie Campbell
8 octobre 1971. Le Club de la presse, l'émission phare de débats de la fin des années 1960, débute.
L'ambiance sur le plateau est lourde. Un homme au regard perçant et au parler franc est passé à la question
par quatre journalistes. Le ton est d'une incroyable liberté, pourtant le sujet déclenche les foudres.
Il s'agit du célibat des prêtres. Et qui de mieux pour en parler que l'abbé Barreau, ce prêtre charismatique,
connu pour avoir été le curé des blousons noirs de Pigalle, puis responsable du catéchuménat pour le diocèse
de Paris. Celui par qui le scandale est arrivé après avoir médiatisé la même semaine dans L'Express sa décision
de se marier. Le prêtre ne se démonte pas face aux attaques du journaliste Michel de Saint-Pierre, qui l'accuse
de "faire le pin-up boy" à la une des journaux, et de se vanter de sa "faute". Jean-Claude Barreau ne voit pas
où est le problème : "Qu'on laisse les prêtres se marier et qu'on passe à l'essentiel!" L'essentiel? La crise d'une
Église qui déjà à l'époque se tenait à distance du monde réel. L'abbé, à qui Rome avait refusé sa réduction à l'état
de laïc, pensait que de toute façon l'Église allait faire sauter le célibat des prêtres dans les cinq ans.
"Le mariage des prêtres, ce n'est pas pour demain"
En 2013, plus de quarante ans plus tard, le Vatican n'autorise toujours pas le mariage des prêtres, et les enfants cachés d'hommes d'Église sont toujours marqués du sceau du déshonneur. Jean-Claude Barreau, 80 ans, et son épouse, Ségolène, 69 ans, s'aiment comme au premier jour. Leur fille Chloé, 35 ans, prend sa caméra, convoque
ses parents pour raconter leur histoire et interroge une réalité toujours taboue dans le documentaire La Faute à mon père*. "Malgré l'espoir de renouveau suscité par l'arrivée du pape François et sa volonté de réévangéliser de l'intérieur, le mariage des prêtres, ce n'est pas pour demain", estime Chloé Barreau.
La reconnaissance des enfants de prêtres n'est pas non plus à l'ordre du jour à Rome. Même si en 2009 un vent d'espoir avait soufflé sur la peine de ces filles et fils d'hommes de foi qui n'ont pas su résister à l'appel de l'amour.
Le cardinal Claudio Hummes, alors préfet de la congrégation pour le clergé, avait organisé plusieurs réunions sur
le dossier explosif. Objectif : éviter que l'existence des tests ADN ne suscite une multitude d'actions en reconnaissance de paternité devant les tribunaux, avec les dégâts que cela entraînerait pour les finances et l'image de l'Église. Une sorte de contrat civil garantissant les droits sociaux de la mère et de l'enfant avait alors été évoqué : l'enfant aurait pu hériter des biens personnels de son père, et ce dernier lui transmettre son nom.
Le dossier n'est pas sorti des murs du Vatican. S'il n'existe évidemment pas de chiffres officiels sur le nombre d'enfants de curés, il y aurait, selon la Fédération européenne de prêtres catholiques mariés, 10.000 à 12.000 prêtres mariés et défroqués en France et, rien que dans le nord de la France, une vingtaine de "foyers".
"Il a repris sa liberté pour solde de tout compte"
Ces héritiers de la douleur morale vivent mal le fait d'être les victimes d'une des plus grandes hypocrisies de l'Église. "Mon père avait été voir François Marty, archevêque de Paris, pour lui dire sa volonté de se marier.
Le cardinal lui avait rétorqué qu'il avait l'habitude d'entendre ce genre de chose, que mon père pouvait se marier
en cachette et que s'il avait un jour des enfants, l'Église s'en occuperait…" Le père Barreau a fait le choix de ne pas vivre dans le mensonge. "Il a repris sa liberté comme solde de tout compte , résume Chloé, fière d'être fille de curé défroqué. Le défroqué est celui dont les décisions successives font la marque d'une fidélité à soi, à ce qu'on est sous les masques."
"Les enfants apprennent en général un jour par des voies détournées que leur père a été prêtre, moi, je ne leur ai jamais caché", affirme Jean-Claude Barreau. "La plupart des prêtres qui ont quitté leur ministère pour se marier
se sont sentis déclassés socialement, ils n'avaient plus le rayonnement que leur conférait leur statut.
Mon père, lui, n'a pas vécu cela comme un reniement", raconte Chloé. Jean-Claude Barreau a été éditeur,
conseiller de François Mitterrand, président de l'Ined (Institut national d'études démographiques), conseiller
pour l'immigration de Charles Pasqua… L'ancien prêtre a vécu dans la lumière ; Ségolène, son épouse, a dû apprendre à composer avec ses fêlures. Aux yeux de la société, elle était la tentatrice, celle qui a écarté l'homme
de foi du droit chemin. "J'avais le sentiment d'être la pute du curé…", ose-t-elle face à la caméra. Chloé ne rejette rien de ses origines : "Cette histoire m'a donné la vie, le goût du romanesque et une certitude : un amour qui se
bat est un bloc de granit, le monde entier coalisé s'y cassera toujours les dents."
* La Faute à mon père, le scandale de l'abbé Barreau, vendredi 0.05, France 3.
Laurier de l'Audiovisuel 2014 comme "Meilleure Première oeuvre"
Prix du meilleur documentaire européen Circom 2013
Mention Spéciale du Jury au Biografilm Festival 2012